Puisque je suis en plein dans l’écriture de mon premier thriller, je vais vous expliquer pourquoi il faut écrire un thriller avec la structure narrative de votre choix. Bien sûr, c’est valable pour tout roman. Un écrivain est à la même enseigne qu’un scénariste, vous allez voir.
Qu’ai-je dit ? Structure narrative ? Ouh là ! C’est quoi cette bête ?! Si vous n’êtes pas auteur, ça ne vous dira peut-être rien. Mais je suis sûre qu’en découvrant de quoi que je cause, vous n’allez plus lire ou regarder les films ou séries de la même manière !
Toutes les bonnes histoires, que ce soit en contes, romans, films ou séries, sont écrites sur la base de règles narratives. Car notre cerveau fonctionne à certaines substances (pas de mauvaises idées siou-plé merci).
Autrement dit, certaines techniques (invisibles au profane) sont des outils géniaux pour provoquer la cohérence de l’histoire, ou pour étoffer un personnage, bref pour rendre une histoire captivante !
Et ça on le sait, même sans en être conscient.
Par exemple : vous ressentez un certain malaise lorsqu’une bonne histoire se termine en « queue de poisson ». Vous savez, le genre le gars se réveille et toute l’histoire n’était qu’un rêve.
Ou encore : le héros gagne trop facilement, son « ennemi » (en jargon d’écriture c’est l’Antagoniste, qui n’est pas forcément « méchant » en soi, juste opposé à la cause du Héros) n’est pas assez fort.
Vous voyez ? Vous connaissez ces choses, sans mettre forcément un nom dessus : vous ressentez confusément qu’il manque quelque chose, ou que tel personnage est un peu faiblard, ou encore que tel autre n’est pas attachant (parce qu’en fait, il manque d’humanité. C’est pour ça aussi que je n’ai pas voulu mettre en place un psychopathe dans mon thriller).
La préparation en amont permet d’écrire les doigts dans le nez
C’est la première fois que j’écris un roman en l’ayant préparé avant. Ecrire un thriller avec la structure narrative, ça change la vie ! Enfin l’écriture, on se comprend.
Avant, comme beaucoup de mes compatriotes français, faute de le savoir, je me lançais à corps perdu (oui enfin, à tête perdue) dans l’écriture, aussitôt une idée assez développée et engageante.
Et bien sûr, à un moment donné, je me retrouvais coincée. C’est incontournable. C’est ce qui m’est arrivé avec mon roman sur Jérusalem, que je vais ré-attaquer après mon thriller en reprenant la structure qui n’est pas assez développée, ainsi que les personnages, que je dois encore enrichir, étoffer, complexifier (j’adore ça !)
Le fait de préparer est tellement plus confortable une fois venu le moment de rédiger ! On sait où on va dans les grandes lignes, on peut donc libérer sa créativité et écrire au kilomètre notre premier jet. J’apprends aussi à écrire comme un brouillon, sans me censurer ni vouloir faire du style. Ça viendra après. Au moment de réécrire. Du tri des idées.
Structurer en amont son histoire est un cadre, un outil qui est là pour aider, autant notre imaginaire que notre cohérence. Moi qui ai plutôt une imagination un peu débridée, cela me permet de revenir à chaque fois à mon texte, à une certaine logique et m’ouvrant vers un esprit analytique. Deux points qui me manquent. Je sais, on ne peut pas tout avoir.
En tout cas, les scénaristes apprennent comment construire une bonne histoire. Un bon livre là-dessus, écrit par Joseph Campbell, peut être une excellente source si vous voulez aller plus loin : Le Héros aux mille et un visages.
L’Echelle des Héros dans la Structure Narrative
Il existe plusieurs structures pour narrer une histoire, et grâce à la Méthode Godefroy, je n’ai eu que l’embarras du choix.
On peut en choisir une, ou l’autre, ou les mixer, mais moi j’ai choisi la plus complète pour écrire mon thriller : l’Echelle des Héros.
Elle est constituée de 22 barreaux, donc étapes, auxquels j’ai ajouté 5 étapes au début et à la fin (mix d’une autre structure). Comme ça, j’aurai une histoire la plus complète possible. Bien sûr, il est possible d’inter-changer des étapes ou même d’en supprimer pour les besoins de l’histoire. Rien ne doit être contraignant.
Faisons un petit jeu : j’ai envie d’analyser la structure d’une histoire, mais avec moins d’étapes, je vais prendre les principales. Pour l’exemple, ce sera un Hitchcock que j’ai vu il y a longtemps mais qui m’a beaucoup marquée : l’excellent thriller d’espionnage : La Mort aux Trousses, avec Cary Grant dans le rôle principal.

1. L’Appel de l’Aventure (Monde du Quotidien)
Vous avez dû le remarquer, dans toutes les histoires, le début se passe dans le monde « normal » du Protagoniste. C’est un peu le « Il était une fois » de notre enfance.
Mais quelque chose va venir perturber, voire bouleverser, ce tranquille train-train.
Le monde du quotidien est là pour faire le contraste avec le monde qui va suivre, celui de l’aventure, celui de l’histoire.
Ici, le Protagoniste Roger Thornhill (joué par Carry Grant) est un publiciste qui mène une vie normale. Jusqu’à ce que surgisse l’Appel de l’Aventure, un problème dans cette petite vie tranquille.
En effet, pris pour un certain George Kaplan, il se fait enlever par les hommes de l’espion Vandamm.
2. Le Refus de l’Appel de l’Aventure
Le Protagoniste refuse cette nouvelle vie. Que ce soit justifié ou non. Il ne veut pas de la nouvelle orientation que prend sa vie. Il a peur, ou est empli de doutes.
Ici, Thornhill (Kaplan pour ses ravisseurs) a failli être tué et a réussi à s’échapper. Mais il est arrêté et il lui est impossible de prouver que ce malentendu d’erreur sur la personne est vrai.
3. Le Passage du Seuil
Cette étape peut aussi se trouver en 4, inversée avec la suivante. Le passage du seuil est une étape cruciale : à partir de là, le Protagoniste ne pourra pas revenir en arrière. C’est le point de non-retour. Elle s’imbrique dans l’Evénement Déclencheur ou le Premier Pivot. Elle marque le Départ pour l’Aventure, jusqu’ici refusée.
Dans ce thriller de Hitchcock, ce passage du seuil est au moment où Thornhill, accusé à tort du meurtre du diplomate Townsend, embarque par le train pour Chicago, dans le but de trouver ce fameux Kaplan dont il porte l’identité bien malgré lui.
4. La Rencontre du Mentor
Le Mentor est une sorte de guide qui est là pour aider le Protagoniste à continuer son aventure. Il peut lui donner des informations, un objet, un secret, une carte, une arme, bref toute chose physique ou non qui lui servira pour continuer dans le monde de l’Aventure. Il est son impulsion.
Dans le thriller d’espionnage de Hitchcock, cette rencontre est manifestée par la scène où Thornhill rencontre la belle Eve Kendall, qui le séduit et lui permet de ne pas être capturé par la police. Ce pauvre Roger ignore qu’elle est la maîtresse de son ennemi Vandamm. (Vous suivez ? C’est bien).
5. Les Épreuves et les Rencontres
C’est la partie la plus importante d’une histoire, environ les 3/4 d’une histoire. Il s’agit de tout ce qui arrive au Protagoniste : devoir trouver des alliés, affronter un Grand Mystère, bref il ne peut pas accomplir tout ça tout seul et a besoin d’aide (informations, apprendre une langue, trouver une pièce nécessaire à sa quête, un nouveau métier, etc.).
Dans le film, Thornhill est envoyé par son Mentor Eve Kendall pour rencontrer le fameux Kaplan, mais c’est sur une route déserte et le voilà cible d’un avion qui manque le tuer. C’est là qu’il comprend qu’elle l’a trahi (oui le Mentor peut aussi être un Antagoniste).
6. Le Cœur de la Caverne
Une Caverne ? Oui, le symbole d’un lieu très dangereux, souvent souterrain, et/ou sombre, clos, bref c’est la menace du dragon sur le preux chevalier ou l’Enfer. C’est là que se trouve l’objet de sa quête.
Le film évoque cette étape en montrant un Thornhill qui se jette dans la gueule du loup en se rendant dans une salle des ventes où il provoque volontairement un esclandre, afin d’échapper aux hommes de Vandamm. Les policiers qui l’embarquent l’amènent à l’aéroport où il rencontre le Professeur. Qui lui apprend qu’il est le responsable du contre-espionnage et qu’en réalité, Eve Kendall travaille pour lui (et prend donc des risques considérables).
Le Protagoniste, Thornhill, réévalue ses plans. Il doit continuer à endosser le rôle de Kaplan, agent fictif, pour coincer Vandamm.
7. La Rencontre avec la Femme Tentatrice
Ici on est dans le pire des Extrêmes, où le Protagoniste peut frôler la Mort. On pense qu’il va échouer, il n’y a plus d’espoir. Et puis il va renaître dans toute sa force et prouver qu’il est vraiment très fort !
Dans ces étapes, il va devoir puiser au plus profond de ses ressources pour affronter les épreuves et l’Antagoniste qui contre-attaque.
L’Apothéose montre la force montante du Protagoniste, juste avant l’Épreuve Suprême. Rien ne peut être pire que cette Épreuve-là. Le scénariste ou l’auteur doit imaginer un truc de malade, insupportable à imaginer !
Si je reviens à mon film, Eve Kendall simule en public l’assassinat de Kaplan-Thornhill, dans le but de regagner la confiance de Vandamm. Hélas, son bras droit Léonard, découvre la supercherie (toujours à fouiner, celui-là) et on devine qu’il va prévenir toute la clique.
Thornhill arrive malgré tout à prévenir Eve Kendall qu’elle est en danger si elle prend l’avion avec Vandamm qui sait tout mais fait semblant de ne rien savoir.
L’Épreuve Suprême, ici, c’est lorsque Thornhill et Kendall, qui ont réussi à se retrouver après qu’elle se soit échappée juste avant l’avion, et à voler des microfilms, se sauvent pourchassés, en escaladant le Mont Rushmore (les 4 célèbres têtes de présidents gravées dans la montagne). Ici la tension est à son paroxysme, encore aggravée par la musique !
8. La Récompense
Réussite de l’Aventure du Protagoniste : trésor trouvé, information apportée, bref ce pour quoi il courait arrive à sa fin.
Dans le film La Mort aux Trousses, Thornhill et Kendall ont échappé à leurs ravisseurs et filent en amoureux dans un train de nuit, avec les microfilms.
9. Le Retour à la Maison
Bon, ça c’est facile à deviner. Retour au Monde du Quotidien. Toutefois, le Protagoniste a subi une transformation. Il a évolué et n’est plus le même qu’au début de l’histoire.
Une bonne histoire inclut aussi cet aspect : observez vos héros de séries, si vous êtes fan comme moi : un bon Héros évolue toujours entre le début de l’histoire et la fin, du moins au bout de plusieurs épisodes.
D’autres éléments qui font un bon thriller se trouvent dans ce film de Hitchcock, notamment des situations dramatiques comme la traque, la trahison, sauver quelqu’un, le kidnapping, mais ce n’est pas le sujet du jour.
Je tiens à préciser qu’avec ce film, que je considère comme un chef-d’oeuvre du cinéma, il semblerait qu’Hitchcock ait créé le thriller moderne : un mélange de danger extrême incluant la mort, avec de l’humour, quasiment à chaque scène !
Ce savant mélange a été repris dans des films d’action avec Harisson Ford (Indiana Jones) et Bruce Willis.
Hello Marjorie
Excellent ! Bravo pour cette explication claire et limpide de la structure narrative. Je ne peux que être d’accord avec cette approche de l’écriture. Pour un thriller mais pour n’importe quelle fiction d’ailleurs. Quand j’étais petite, c’était les westerns qu’on regardait à la télé. et la structure telle que tu la présentes était toujours bien présente. Finalement, on la connait tous intuitivement et dès qu’on l’applique à l’écriture d’un roman ça change la vie et débride la créativité.
Quand on connait tes références Hitchcock et Stephen King, wow, ton thriller risque de nous faire passer par toutes les émotions ! Hâte de te lire 🙂
Coucou Marjorie,
Merci, ouf j’ai été claire, c’est ce qui m’importe. C’est vrai que c’est valable, bien sûr, pour tout type de fiction, même si pour le thriller, elle est vraiment incontournable, je dirais absolument nécessaire.
Oui, j’ai vu quelques westerns quand j’étais plus jeune, c’est vrai que la structure était présente aussi. En fait, elle l’est dans tous les bons films, d’hier ou d’aujourd’hui, et maintenant dans les séries.
Hum, tu me mets la pression lol, j’ai intérêt à sortir un bon thriller.
Belle démonstration du rapport entre film et écriture.
Vladimir Propp avait formalisé l’écriture et je l’ai toujours suivi à la lettre. Ses schémas très simples et clairs ont été repris dans le monde entier, et on peut dire qu’il a ouvert les yeux à bien des écrivains. Si tu ne le connais pas, voici qq adresses qui parlent de lui:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphologie_du_conte
http://feeclochette.chez.com/Theorie/propp.htm
http://www.barbery.net/psy/fiches/propp.htm
C’est à force de lire et de chercher ce qui nous convient qu’on réussit à écrire ce que l’on souhaite! (proverbe de moi! hihi!
Ceci dit, bravo pour ton blog. Je vais m’emparer de ta nouvelle.
Bonne continuation.
Amicalement
Armand
Coucou Armand,
Ravie que ton passage chez Marjoland t’ait assez plu pour t’abonner 🙂
Un grand merci pour tes références, Propp me dit quelque chose mais je vais aller dévorer tes liens !!
Ah oui ça me revient, il me semble que Christian Godefroy a parlé dans sa formation sur le Kindle du schéma de Propp pour raconter des histoires, mais à vérifier (je n’ai pas mes sources là tout de suite sous les yeux).
J’aime bien ton proverbe lol !
Hello Marjorie, très bonne idée de donner cet exemple de structure à travers ce film. Revisiter Hitchcock m’a donné envie de revoir le film, je vais brancher mes deux kids. Je me demande, si les structures actuelles sur les films récents sont plus complexes ou en tout cas les histoires. Est ce que les films d’après guerres étaient plus simplistes ? pas sur surtout avec Hitchcock aux manettes ou Agatha Christie à l’écriture.
Ceci dit la structure est un squelette sur lesquels l’auteur s’appuie pour se libérer dans l’écriture.
Très bon article. écrire, c’est un métier, y a pas à dire..
Hello Bruno, tant mieux si ça t’a donné envie de revoir le film.
C’est une bonne question, je ne sais pas si les structures d’aujourd’hui sont plus complexes ou pas. Moi j’ai juste pris une structure narrative simplifiée, et analysé le film avec, mais il est fort probable qu’Hitchcock s’était basé sur plus complexe. Et je n’ai pas voulu prendre l’Echelle des Héros (utilisée pour mon thriller, donc) à 22 étapes pour l’analyser, ça aurait été trop long pour moi et pour mes lecteurs 😉
Bonjour Marjorie Loup
N’as-tu pas honte, toi la créatrice d’univers, de révéler les trucs du métier… tel un magicien qui révèlerait ses tours. Shame on you !
Très bon article (malheureusement 🙂 ) comme toujours. L’angle choisi, basé sur ce film du grand maître, permet une présentation didactique des concepts.
Personnellement, j’ai testé les deux approches. L’aventure en se lançant dans l’absolu vierge et la rédaction après construction d’une structure testée en réelle. La deuxième m’a permis de rédiger un livre de plus de 400 pages en 4 mois. La première 200 pages en un an, que j’hésite encore à publier. Donc je ne peux qu’approuver ce que tu présentes.
La plus grande difficulté, à mon sens, reste de savoir quand faire la bascule pour ne pas s’amuser trop longtemps sur la phase préparatoire.
Amicalement
Anto
Hey salut Anto !
Je suis rougissante, c’est vrai quelle idée de révéler mes ficelles. Non sérieusement, ces ficelles sont universelles et si elles peuvent aider des auteurs à préparer et écrire leur roman, tant mieux ! Et je voudrais faire comprendre au plus grand nombre combien une préparation est super importante, combien le métier d’écrivain est un vrai métier avec ses outils, ses techniques, son apprentissage. On n’en écrit que mieux après ça.
Et puis comme j’ai préparé mon thriller avec des techniques d’écriture, j’en parle ! C’est du concret.
Ton témoignage des 2 approches est vraiment percutant, car comme tu dis, il prouve bien qu’écrire après avoir préparé donne un roman de meilleure qualité, écrit plus facilement et plus rapidement. La seule difficulté se trouve en amont, dans la préparation justement. Il faut savoir se retenir de se lancer dans l’histoire d’un seul élan.
Tu as raison, il faut savoir trouver l’équilibre entre le moment où on peut se lancer dans la rédaction du premier jet, et celui où on n’est pas encore prêt. Doser la frontière entre la procrastination et le perfectionnisme pro.
Toute mon amitié
Superbe article, Marjorie.
C’est vrai qu’une fois qu’on a testé une « préparation carré », c’est dur de s’en passer par la suite tant ça donne de liberté à l’écriture… sans jamais se perdre.
Je suis bien d’accord avec toi, ce film de Hitchcock est excellent. A chaque film, il se réinventait et concevait des méthodes narratives nouvelles qui font aujourd’hui parties de la trousse à outils de tout bon conteur d’histoires.
Fred
Merci Fred 🙂
Et ravie de te voir par ici !
Oui, quand on commence à préparer un roman sérieusement et de façon cadrée, c’est une vraie addiction. Heureusement, celle-ci est positive.
J’ai vu ce film plusieurs fois, j’étais ado et en fait, on matait pas mal de Hitchcock, j’adorais et je pense que ça m’a vraiment marquée !